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Très bon livre sur le bouddhisme. |
Le Maître est octogénaire. Vigoureux, infatigable, il a poursuivi, jusque-là, ses pérégrinations. C'est au milieu de celles-ci que lui vient le sentiment de sa fin prochaine.
«Écoutez-moi, frères, dit-il à ses disciples. toutes les choses composées doivent se désagréger. Travaillez avec diligence à votre délivrance. Je m'éteindrai sans retour avant peu. D'ici trois mois je serai mort.
«Mes années ont atteint leur terme, ma vie approche de sa fin. Je vous quitte je pars me reposant sur moi seul. Soyez diligents, mes Frères, soyez réfléchis. Soyez fermes dans vos résolutions. Veillez sur votre propre esprit. Celui qui ne se lasse pas mais se tient fermement à cette vérité et à cette voie, traversera l'océan de la vie et mettra un terme à la souffrance(1).»
Cet avertissement donné à ses fidèles compagnons, le Bouddha continue ses voyages et ses prédications.
«Le Bhagavan, après un séjour à Bhoga Gâma, se rendit à Pâva et s'arrêta dans un petit bois de manguiers appartenant à Kunda, artisan en métaux(2).
«Alors Kunda, l'artisan en métaux, ayant appris que le Bhaghavan était arrivé à Pâva et s'était arrêté dans son bois de manguiers, se rendit près de lui, le salua et s'assit, avec respect, d'un côté de lui(3).
«Quand il fut assis, le Bhaghavan l'instruisit, éveilla ses pensées et mit en lui de la joie par ses discours spirituels. Quand Kunda l'eut entendu, il s'adressa au Bhaghavan, disant: "Le Bhaghavan me fera-t-il l'honneur de prendre son repas chez moi avec les Frères ?" - Et le Bhaghavan, par son silence, manifesta son acceptation.
«Alors, Kunda, voyant que le Bhaghavan acceptait son invitation, se leva, s'inclina devant lui et s'en alla.»
Le lendemain, le Bouddha prit son repas chez Kunda et fut, ensuite, atteint d'une violente attaque de dysenterie(4), mais ayant projeté d'aller à Kousinara pour y prêcher, il refusa de s'arrêter et continua son voyage. Cependant, le vieux Maître (il avait quatre-vingt-un ans) avait trop présumé de ses forces. Il fit halte au bord de la route, près d'un bouquet d'arbres formé par trois santals.
«Plie mon manteau, Ananda, dit-il à son cousin, et étends-le sous moi. Je suis las et je veux me reposer.»
Songeant, alors, aux reproches que ses disciples pourraient être tentés de faire à Kunda, au sujet du repas, cause immédiate de ses souffrances et, il le prévoyait, de sa mort, il appela son cousin Manda et lui commanda de veiller à ce que nul ne trouble son dernier hôte à son sujet. Un peu reposé, faisant un dernier effort, le Bouddha poursuivit son chemin et arriva au bord de la rivière Hiranyavati dans un petit bois de salas(5) et, là, la fatigue le reprit.
«Je suis las, Ananda, prépare-moi une couche. Je voudrais m'étendre.»
Il y avait, dans ce lieu, rapportent les histoires du récit canonique, une sorte de table basse ou de large banquette en pierre(5) ombragée par trois santaliers. Ananda y étendit une couverture et le Bouddha se coucha, calme, l'esprit lucide en pleine possession de lui-même.
Siddhârtha Gautama était arrivé à l'ultime étape de sa longue carrière. Son cousin s'informe:
«Maître, comment devons-nous agir envers votre dépouille ?»
Ce souci d'honorer un mort vénéré en lui faisant de dignes funérailles, peut convenir au zèle pieux d'hommes du monde et témoigne, de sentiments louables; mais le véritable philosophe que doit être un disciple du Bouddha, pénétré de sa doctrine, a rejeté avec la sentimentalité vaine l'attachement aux rites qui la manifestent. Il peut regarder un cadavre sans le dissimuler sous des fleurs, et traiter comme amas négligeable de chairs en décomposition la forme qui fut un Maître admiré et aimé.
«Que les Frères ne s'inquiètent point de lui rendre des honneurs. Ananda. Soyez zélés, je vous en supplie. Ananda, à votre propre intérêt. Dévouez-vous à votre propre bien. Il y a des hommes sages parmi les nobles et les Brahmines. des chefs de famille qui croient en moi. Ils s'occuperont de mes funérailles.»
Mais la douleur du disciple est trop profonde. Il se retire à l'écart pour lui donner libre cours:
«Hélas je demeure et le Maitre s'en va, alors que j'aurais encore tant à apprendre de lui»
Le Bouddha, remarquant l'absence de son parent et en comprenant la cause, le fait appeler. Quand il est près de lui, il lui reproche, doucement, le trouble où sa mort le jette.
«Assez. Ananda ! Ne te trouble pas. Ne t'ai-je pas dit souvent qu'il est dans la nature des choses qui nous sont les plus proches et les plus chères que nous devions nous en séparer, les quitter. nous en priver ? - Comment serait-il possible. Ananda, que ce qui est né, amené à l'existence, composé, qui contient, inhérent à soi-même, le principe de sa dissociation, comment serait-il possible qu'une telle chose ne se dissolve pas ? - Cela ne peut pas être.
«Depuis longtemps, Ananda. tu as été très proche de moi par des actes, des paroles, des pensées d'affection, de bienveillance. Tu as fait le bien. Persévère avec vigilance et, bientôt, tu seras délivré des grands maux, la sensualité, la croyance en l'individualité, l'illusion, l'ignorance.»
Puis, il se présenta encore un religieux, appartenant à une autre secte, nommé Soubhada. Il avait entendu parler du Bouddha et ayant appris qu'il s'était arrêté dans le bois de santaliers, il souhaitait le voir pour élucider certains de ses doutes philosophiques. Les disciples voulaient l'éconduire pour épargner à leur Maître a fatigue (l'une conversation, mais celui-ci, les ayant entendus, appela Manda et lui commanda de laisser approcher le religieux.
«Ne renvoyez pas Soubhada. Quoi qu'il veuille me demander. C'est animé d'un désir de s'instruire qu'il veut m'interroger et non pour me causer de l'ennui. Je dois donc répondre à ses questions.»
Écartant, bientôt, les dissertations oiseuses de Soubhada, le Bouddha développe en un discours abrégé de la première prédication la vie de droiture fondement de sa doctrine et, convaincu qu'il a rencontré une vérité supérieure à celle des métaphysiciens, des rhéteurs ou des Brahmines ritualistes, Soubhada le prie de l'admettre parmi ses disciples.
Enfin, le Bouddha, sachant combien est difficile à l'homme la destruction de tout attachement idolâtre, le rejet de toute dévotion sentimentale, connaissant son besoin de Dieux anthropomorphisés ou de Maîtres humains déifiés, son incapacité à vivre seul sa vie spirituelle, s'adresse à Ananda:
«Il se pourrait Ananda que cette pensée naisse en vous: "La parole du Maître n'est plus: nous n'avons plus de Maître." Ce n'est point ainsi qu'il faut penser. La vérité, la doctrine que je vous ai enseignée à tous, voilà votre Maître lorsque j'aurai disparu.»
Une phrase dépourvue d'emphase, rappelant, une fois de plus, cette loi de la perpétuelle transformation des agrégats, qui servit de thème à tant de ses discours, clôt la prédication du Maître. Les Sages n'accordent pas à la mort l'importance que lui prête le vulgaire et il y a longtemps que celui dont la forme visible va disparaître a contemplé, par-delà les bornes de la vie et de la mort, la véritable face de l'existence.
«Écoutez-moi, mes frères, je vous le dis, la dissolution est inhérente à toutes les formations ! Travaillez sans relâche à votre délivrance»
Ce furent ses dernières paroles. Quelques jours après, au soleil levant, les nobles(7) de Kousinara élevaient un bûcher aux portes de la ville et y brêlaient la dépouille du Bouddha avec le cérémonial usité pour les rois.
(1). Mahâ Parinibbâna Sutta, III. 66.
(2). Kunda est généralement considéré comme étant un forgeron, mais cet «artisan en métaux» peut tout aussi bien avoir été un orfèvre ou un chaudronnier. Il n'appartenait probablement pas à l'une des trois classes sociales supérieures de la société hindoue.
(3). C'est-à-dire: pas en face de lui. Il était considéré comme un manque de respect de regarder quelqu'un de face. II fallait se placer de façon à le voir de profil.
(4). La nature du mets qui avait été servi au Bouddha à ce repas et qui, s'il n'avait directement causé sa mort, avait pourtant aggravé le mal qui lui avait fait envisager sa fin prochaine, a donné lieu à de nombreuses discussions. Certains ont cru qu'il s'agissait de sanglier, mais cette opinion n'a pas cours parmi les Indiens familiers avec les mets de leur pays et aussi avec ceux que l'usage permet d'offrir à un yogui. Il ressort de ces discussions que le plat dont le Bouddha mangea consistait en des champignons ou en un autre végétal dont les sangliers sont friands et qui, pour cette raison, était appelé «délices du sanglier». Les textes pâlis l'appellent sukara inaddava.
(5). Le santalier blanc.
(6). Ces banquettes se rencontrent, de distance en distance, sur le bord des routes où le portage se fait à dos d'homme. Les porteurs s'y reposent en se déchargeant de leur fardeau ou en appuyant seulement celui-ci sur la banquette tandis qu'eux-mêmes restent debout, le dos appuyé contre le bord de la banquette, et se soulagent, ainsi, du poids de leur charge.
(7) Par nobles, tout au cours de ces textes, il faut entendre les Kshatriyas, la caste laquelle le Bouddha appartenait.