Le problème que nous essayons de résoudre dans tout le dharma et en particulier dans le dzogchen est un problème de localisation.
Quelle est la nature du lieu d’être? D’une manière générale, nous avons l’impression que « j’habite ici. Je
suis dans mon corps.
Mon corps est ici dans cette pièce. » Et quelle est la situation de ce lieu? De quoi est-il construit?
S’il n’a pas de construction solide, alors les notions de « je » sur lesquelles nous nous reposons et toutes les actions qui
viennent de là seront peu fiables.
Il y a de nombreux exercices en lien avec cela, mais la première chose est d’enquêter sur notre nature. Dans le dzogchen, nous sommes toujours en train d’essayer de nous observer.
Maintenant, s’observer soi-même peut paraître facile.
Linguistiquement, cela semble plutôt simple. Comme: « Observe-toi, observe tes pieds. » Et donc si nous voulons observer
nos pieds, ce n’est pas difficile. Nous baissons le regard et les voici. Mais si vous voulez vous observer vous-mêmes, vous devez tout d’abord vous trouver afin d’observer. Ainsi, pour nous trouver nous devons chercher, et si nous nous mettons à chercher, que cherchons-nous?
Si nous admettons que nous n’avons jamais vu notre propre visage, alors ce que nous cherchons est simplement une construction de représentations, et nous pouvons donc nous retrouver en train de courir après nos suppositions, puis de les réaliser. Nous avons l’habitude d’observer les choses. Et si nous nous observons nous-mêmes de la manière dont nous observons les choses, il ne fait aucun doute que nous nous présenterons à nous-mêmes comme une chose, parce que c’est ce que nous faisons depuis le commencement même du samsâra. C’est cela, le samsâra.
Ainsi, ce que nous devons vraiment faire, c’est développer une nouvelle forme d’observation de soi, une forme qui ressemble plus au fait de frayer avec nous-mêmes. Soyez simplement là tandis que vous vous « moi-ifiez », en observant ce processus de « moi-ification ». Parce que si ce n’est pas vous qui vous «moi-ifiez », qui donc le fait? Dans le dzogchen, on appelle cela « rester avec celui qui fait ce qui se passe- quoi que ce soit ».
Si des pensées surviennent, restez avec celui qui pense les pensées qui surviennent. Si des émotions surviennent, restez avec celui qui éprouve les émotions. Si aucune pensée et aucune émotion n’émerge, restez avec celui qui est complètement engourdi et stupide. Parce que celui qui accomplit cette activité existe quelque part. Où existe-t-il? En observant attentivement, vous parviendrez à voir le « je » venir à l’existence. Mais si vous n’observez pas attentivement, ce point de manifestation de celui qui fait se présentera toujours comme s’il était le site éternel du « je » : « Je suis moi ! » Et ma saisie de ce « je » ferme la porte de la libération.
Le problème essentiel est que, depuis le début, l’esprit est ouvert, très détendu, non-né, incréé, et que cependant l’expérience de l’esprit est : « Je suis moi. Je ne suis pas vous. Laissez-moi tranquille. Donnez-moi ce que je veux! » Depuis le tout début, nous ne savons pas qui nous sommes. Le fait de penser « je suis moi » signifie que je n’ai pas réalisé qui je suis. Le «moi » est le point objectivé, raffiné, du « je », qui apparaît comme le curseur sur un écran d’ordinateur, la petite flèche, la pensée qui vous montre où vous êtes et, comme ce petit point sur l’ordinateur, il n’est pas quelque part, il n’a pas d’existence réelle. Il est sur l’écran. L’écran n’est pas quelque part. Il est semblable à du cristal liquide, une matrice de points qui révèle le royaume illusoire du cyberespace.
Ou dans un exemple traditionnel : si vous regardez le ciel et que vous voyez un oiseau qui vole, vous voyez la pointe du bec de l’oiseau. Mais où est cette pointe? L’oiseau se déplace dans le ciel. Il n’y laisse pas de trace, et vous ne pouvez saisir le point où il se trouve, parce qu’il se déplace toujours. Ce que nous appelons : « Oh, il y a un oiseau qui vole dans le ciel ! » est unmouvement. Nous construisons la notion d’oiseau. Ce que nous observons est unmouvement.
De la même façon, la nature de l’esprit est d’être très créative.
Pensées, émotions, sensations surgissent continuellement et nous leur attribuons des positions et des lieux, nous les juxtaposons les unes sur les autres, et par cela nous créons l’illusion de la séparation soi-autre. Bien que nous puissions dire, de manière générale, que le samsâra a débuté il y a très longtemps, si vous voulez vraiment voir le point d’émergence du samsâra, regardez dans votre propre esprit !
Et le point où le samsâra émerge est le point où personne n’est conscient de celui qui fait, pense, ressent, éprouve. Qui fait cela? Je pourrais dire: « Qui parlemaintenant? Je parle! Et c’est très simple. C’est moi ! » Je sais que je parle parce que j’aime parler. J’ai donc assez parlé pour connaître le son de ma voix lorsqu’elle sort et qu’elle entre ici dans mon oreille.
Mais il serait beaucoupmieux pourmoi de ne pas savoir qui je suis ! Parce qu’en sachant qui je suis, je deviens très paresseux et je présume que qui je pense être est qui je suis. Et ainsi, j’arrête d’observer. Et de cette façon, je passe ma vie à être un ami du samsâra.
Alors, qui fait cela? Personne ne peut me le dire, parce que faire cela est une expérience, ce n’est pas une entité. S’il ne s’agissait que de découvrir le coupable, on pourraitmener une enquête.Mais avec ce genre d’investigation, le coupable n’existe pas. On a donc besoin d’un autre type d’investigation, qui ne ressemble pas à une enquête policière. C’est une investigation amicale! Parce que si vous pouvez vous lier d’amitié avec vous-mêmes, vous embrasser et vous faire des chatouilles, vous pouvez commencer à vous détendre.
Et si vous savez très bien le faire, vous pouvez « faire l’amour » avec vous-mêmes et vous vous dissolvez complètement, et vous ne vous causez plus aucun problème. C’est le principe général du dzogchen, et ce plaisir, cette détente, ce lâcher prise, cette aise, cette confiance, cette spontanéité, ces qualités délicieuses sont la voie.