Une fois attaqué d’une violente fièvre, il gisait privé de respiration sur son lit, voilà que soudainement la cellule, éclairée d’une grande lumière, fut ébranlée. Sauve ayant levé les mains aux cieux en forme d’actions de grâces, rendit l’âme.
Les moines mêlant leurs gémissements à ceux de la mère de leur abbé, emportent le corps du mort, le lavent dans l’eau, le couvrent de vêtements, le placent dans un cercueil, et passent la nuit à gémir et à chanter des psaumes.
Le lendemain matin, la cérémonie des obsèques étant préparée le corps commença à s’agiter dans le cercueil, et voilà qu’au grand effroi des méchants, Sauve, comme sortant d’un profond sommeil, se leva, ouvrit les yeux, et, les mains élevées, dit : Ô Seigneur miséricordieux ! pourquoi m’as-tu fait revenir dans ce lieu ténébreux de l’habitation du monde, lorsque ta miséricorde dans le ciel m’était meilleure que la vie de ce siècle pervers ?
Comme tous restaient stupéfaits, lui demandant ce que c’était qu’un tel prodige, il ne leur répondit rien.
Étant sorti du cercueil, et ne sentant plus du tout le mal dont il avait souffert auparavant, il resta trois jours sans boire ni manger.
Le troisième jour, ayant rassemblé les moines et sa mère, il leur dit : Écoutez, mes très chers frères, et sachez que tout ce que vous voyez dans ce monde n’est rien ; mais, selon la parole du prophète Salomon, tout est vanité [Eccl., 1, 2]. Heureux celui qui mène sur la terre une conduite qui lui fisse mériter de voir la gloire de Dieu au ciel !
Après ces mots, il hésita pour savoir s’il en dirait davantage ou s’il garderait le silence.
Comme il se taisait, tourmenté par les prières de ses frères pour qu’il leur expliquât ce qu’il avait vu, il dit donc : Lorsqu’il y a quatre jours vous m’avez vu mort dans ma cellule ébranlée, je fus emporté et enlevé au ciel par des anges , de sorte qu’il me semblait que j’avais sous les pieds, non seulement cette terre fangeuse, mais aussi le soleil et la lune, les nuages et les astres ; on m’introduisit ensuite par une porte plus brillante que ce jour dans une demeure remplie d’une lumière ineffable et d’une étendue inexprimable, dont tout le pavé était resplendissant d’or et d’argent ; elle était obstruée d’une si grande multitude de différents sexes, que, ni en longueur, ni en largeur, les regards ne pouvaient traverser la foule.
Quand les anges qui nous précédaient nous eurent frayé un chemin parmi les rangs serrés, nous arrivâmes a un endroit que nous avions déjà considéré de loin et sur lequel était suspendu un nuage plus lumineux que toute lumière ; on n’y pouvait distinguer ni le soleil, ni la lune , ni aucune étoile, et il brillait par sa propre clarté beaucoup plus que tous les astres ; de la nue sortait une voix semblable à la voix des grandes eaux.
Moi, pauvre pécheur, j’étais salué humblement par des hommes en habits sacerdotaux et séculiers, et qui étaient, comme me l’apprirent ceux qui me précédaient, des martyrs et des confesseurs que nous adorons ici-bas avec le plus profond respect.
M’étant placé dans l’endroit qu’on m’indiqua, je fus inondé d’un parfum d’une douceur excessive, qui me nourrit tellement que je n’ai encore ni faim ni soif. J’entendis une voix qui disait : Qu’il retourne sur la terre, car il est nécessaire à nos Églises.
J’entendais une voix, car on ne pouvait voir celui qui parlait. M’étant prosterné sur le pavé, je disais en gémissant : Hélas ! hélas ! Seigneur, pourquoi m’as-tu fait connaître ces choses si je devais en être privé ? Voilà qu’aujourd’hui je suis rejeté de devant ta face pour retourner dans un monde fragile, et ne pouvoir plus revenir ici.
Je t’en conjure, Seigneur, ne détourne pas de moi ta miséricorde ; je te supplie de me laisser habiter ce lieu, de peur qu’après en être sorti je ne périsse ; et la voix qui m’avait parlé dit : Vas en paix, car je suis ton gardien jusqu’à ce que je te reconduise ici.
Ayant donc laissé mes compagnons, je descendis en pleurant, et sortis par la porte par où j’étais entré.
A ce discours tous restèrent stupéfaits, et le saint de Dieu recommença à dire avec larmes : Malheur à moi qui ai osé révéler un tel mystère ! Voilà que le doux parfum dont j’avais été embaumé dans le lieu saint, et qui m’a soutenu pendant trois jours sans boire ni manger, s’est éloigné de moi.
Ma langue est couverte de blessures déchirantes, et si enflée qu’elle me semble remplir toute ma bouche ; et je sais que j’ai déplu à Dieu mon Seigneur en divulguant ces secrets.
Mais, Seigneur, tu sais que je l’ai fait dans la simplicité de mon coeur, et non dans l’orgueil de mon esprit. Je te prie donc de me pardonner, et de ne pas m’abandonner selon ta promesse. Il dit et se tut ; puis il pria, mangea et but.
En écrivant ceci, je crains que quelque lecteur ne le trouve incroyable, selon ce qu’a écrit Salluste [Catilina, III] dans son histoire : Quand on rappelle la vertu et la gloire des grands hommes ; chacun accueille sans peine ce qu’il croit pouvoir faire lui-même aisément ; mais il regarde comme faux ce qui lui parait au dessus de ses forces.
J’atteste le Dieu tout-puissant que j’ai entendu dire de la propre bouche de saint Sauve ce que je raconte ici.
http://remacle.org/bloodwolf/historiens/gregoire/francs7.htm
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